Pourquoi le voilier historique russe Shtandart affronte-t-il des vents contraires ?

Le Shtandart, majestueuse réplique d'une frégate du XVIIIe siècle sillonne les ports européens sous une façade patrimoniale et éducative. Cependant, derrière cette façade culturelle, d'aucuns dénoncent des pratiques qu'ils jugent troublantes. Ils n'hésitent pas à faire référence à certaines méthodes de la « flotte fantôme russe » — ces navires opaques qui contournent les sanctions internationales en dissimulant leur traçabilité et leur propriété réelle.

⚓ Une façade historique au service d'un agenda de plus en plus contesté.

Construit entre 1994 et 1999 à Saint-Pétersbourg, le Shtandart MMSI 518999255,est présenté comme un voilier-école indépendant destiné à transmettre le patrimoine maritime. Cependant, depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, son image est ternie. Plusieurs pays européens, dont l'Espagne, l'Irlande, la Belgique*, le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni, ont interdit ou bloqué ses escales, invoquant des préoccupations liées à la sécurité, à la propagande ou au respect des sanctions européennes.

* La Belgique figurait sur le programme du Shtandart. Il a longé ses côtes. Cependant, il n'existe aucun élément public expliquant pourquoi il n'y a pas fait escale.

🏴‍☠️ Un pavillon de complaisance pour tenter de corriger l'image russe

Le 6 juin 2024, dans un contexte de durcissement des sanctions de l'UE à l'encontre des intérêts russes, le Shtandart a changé de pavillon pour adopter celui des îles Cook, réputées pour leur laxisme réglementaire. Ce fut probablement un choix malheureux, car il s'agit d'une pratique classique des navires dits de la « flotte fantôme » pour échapper aux juridictions européennes et brouiller la traçabilité afin d’éviter les interdictions officielles de port.

🧩 Une structure de propriété sophistiquée

Derrière la façade allemande de la société Martus TV GmbH, « propriétaire exploitant » du navire, on peut déceler des liens directs avec la Russie. Cette entreprise, domiciliée dans une boîte postale de Hambourg, est détenue à 80 % par Vladimir Martus, capitaine du navire, et à 20 % par son épouse, Irina Ermakova, tous deux ressortissants russes. Vladimir Martus en est également le président et directeur général. Dans un souci de transparence, il a rendu publique une attestation exposant ce schéma, qui se retourne aujourd'hui contre lui et son navire.

Vladimir Martus

Officiellement, la propriété du Shtandart a été transférée à Mariia Martus, la fille de Vladimir Martus, récemment naturalisée finlandaise.

Mariia Martus

Ce montage familial est considéré par ses détracteurs comme une forme d'écran juridique visant à contourner les restrictions liées à la nationalité ou à l'origine des propriétaires, une pratique bien connue des opérateurs de la “flotte fantôme russe”.

📡 Disparitions des radars

Plus clivant encore, l'équipage du Shtandart désactive régulièrement son système d'identification automatique (AIS), un dispositif obligatoire permettant le suivi des navires pour des raisons de sécurité maritime. Si cette pratique est tolérée dans certaines zones à risque (piraterie), elle est illégale en eaux européennes et constitue une infraction au règlement SOLAS de l'OMI.

Ce comportement, typique des navires fantômes, vise à rendre invisibles les mouvements du voilier, notamment lors d'entrées non déclarées dans des ports européens.

🛑 Les appuis diplomatiques embarrassants de la Russie et de ses officines de propagande.

Le soutien au Shtandart ne vient pas uniquement de son armateur. Le consulat général de Russie à Édimbourg est récemment monté au créneau pour défendre publiquement le navire, accusant les autorités locales de discrimination.

• TASS, 18/07/2025 – Russia’s Consulate General slams banning frigate Shtandart from entering Scottish harbor.

Vladimir Martus a quant à lui participé à au moins une expédition diplomatique officielle russe, en octobre 2021, pour célébrer le 250e anniversaire de la victoire navale de Téschmé contre l'Empire ottoman.

• Russian Geographical Society, 01/11/2021 – The Butterfly Effect: Why the Appearance of the Russian Sailing Frigate Excited Greece

Profondément irrité par la clarification du Conseil européen et l'arrêté du préfet du Finistère, Martus a donné des interviews à des médias de propagande tels que Ria Novosti, OBC, TASS, etc. au cours de l'été 2024. Ce fut une erreur stratégique peu compréhensible. Il en est malencontreusement résulté des centaines d'articles russes le célébrant comme le héros national de la lutte contre les sanctions.

• DOSSIER. Le Shtandart, les organes de propagande et les médias russes

Par ailleurs, ses opposants rappellent qu'il a applaudi, en 2016, l'embarquement de marins russes à bord du grand voilier ukrainien Khersones, dérobé lors de l'annexion de la Crimée.

En 2014, alors qu'il affirme aujourd'hui avoir pris position contre l'intervention russe en Crimée et dans le Donbass, il a accueilli à bord de son navire des journalistes de RT qui ont réalisé un reportage.

Ces engagements et ces soutiens sont largement interprétés comme un enracinement idéologique fort et une proximité politique, assumée ou non, avec le Kremlin. Ceci est malheureusement en contradiction totale avec la neutralité affichée du projet et le statut d'opposant que Martus revendique depuis 2009, dit-il aujourd’hui.

🧭 Une frégate de Pierre le Grand, au service du soft power de Poutine ?

Si Vladimir Martus et ses soutiens insistent sur l'image romantique d'un trois-mâts sillonnant les mers au nom du patrimoine, le Shtandart est de plus en plus perçu, malgré lui, comme un outil sophistiqué de contournement des sanctions, appuyé par un réseau familial, juridique et diplomatique aux ramifications russes.

Dans un contexte de guerre hybride où la propagande et le brouillage juridique jouent un rôle central, l'opinion publique, à des degrés divers selon les pays, l'assimile progressivement à un instrument flottant du soft power russe dissimulé sous les voiles de l'histoire.

Contre vents et marées, Vladimir Martus tente de faire front. Il continue d'affirmer que le Shtandart n'est pas sanctionnable, qu'il n'est pas sous pavillon russe, qu'il est géré par une société allemande et qu'il appartient à une citoyenne finlandaise. Il soutient que son navire est mené par un équipage international de passionnés de voile et qu'il ne représente en aucun cas la Russie, avec laquelle il aurait rompu tous les liens.